La question des migrants et des réfugiés n’a jamais été aussi cruciale, et pas uniquement parce qu’une importante élection se rapproche. Chaque aspect de la crise que nous traversons, semble-t-il, apporte son lot de réfugiés: politiques, économiques, climatiques… Devrons-nous bientôt parler aussi de réfugiés didactiques?
Après plus d’un an de déscolarisation totale, et tandis que son école est réquisitionnée comme annexe d’hôpital, Vireakproseth, 13 ans, vient enfin de retrouver le chemin de l’école… à dix-mille kilomètres de chez lui. Ses parents frappés de plein fouet par la crise économique ont sacrifié ce qu’il leur restait pour cela. Le voici écolier en Europe, comme certains de ses camarades se sont éparpillés dans divers pays d’Asie mieux lotis que le sien.
Vireakproseth retrouve une perspective d’avenir. Beaucoup n’ont pas cette chance. Dans de nombreuses régions, pandémie signifie confinement, fermeture des écoles et arrêt total des études. Quand bien même ils seraient formés pour cela, les enseignants ne disposent pas des ressources pour enseigner à distance; et dans les familles il faut vivre, voire survivre, avant de songer à investir dans un matériel et des connexions coûteux.
Face à cela, nous voyons les ONG rivaliser d’ingéniosité, soit pour préparer « l’après » ou il faudra se rattraper, soit pour limiter les dégâts et ne pas perdre le « maintenant ». D’un côté on met à profit une pause forcée pour construire, développer, organiser l’avenir. De l’autre on soutient, on apprend et on forme à de nouvelles manières de travailler, à tout ce qui peut s’apprendre hors de l’école: on réinvente le présent. S’ils ne peuvent plus bouger, on ira jusque chez eux chercher les écoliers – et leurs parents. En les équipant de smartphones, en embauchant des instituteurs, ou en déplaçant des bibliothèques, en bateau s’il le faut!
Ce n’est qu’une petit aperçu des projets que la fondation Amanjaya, grâce à ses donateurs, est heureuse et fière de pouvoir soutenir cette année. Découvrez-les vite sur ce site.
Mékong Plus: des bourses et des smartphones pour étudier
Des villageois qui s’endettent pour l’école
Mékong Plus vise à éliminer la pauvreté, et l’un de ses leviers privilégiés est l’aide à l’éducation : l’accès à l’école comme la qualité de l’éducation. La majorité des plus pauvres vivent dans des campagnes reculées, et c’est là que travaille Mékong Plus, particulièrement au Vietnam.
Ce projet se déroule dans la province de Haü Giang, District de Phung Hiêp, au sein de 25 écoles – maternelles, primaires, collèges et lycées – du district. Il s’agit d’un des districts les plus pauvres du Delta du Mékong, qui compte plus de 210.000 habitants et est totalement dépendant de l’agriculture et de la pêche. 16% des paysans sont sans terre, vivent d’un peu de pêche et d’emplois journaliers 10 jours par mois seulement. Environ 15% des personnes de cette région vivent sous le seuil de la pauvreté absolue, 50 centimes d’euro par jour…
Selon les mots d’un directeur d’école : « c’est très nécessaire d’améliorer la qualité de l’éducation à l’école, des bibliothèques etc. mais il n’y d’impact que si les enfants ont accès à l’école ». Or l’éducation est extrêmement coûteuse.
En maternelle – obligatoire au Vietnam – il faut compter l’équivalent de plus d’une année du budget annuel par personne : environ 300 euros par enfant et par an ; pourtant dans les familles pauvres visées par Mékong Plus – qui représentent 10% de la population locale – le budget par personne n’est que de 15 euros par mois – pour se nourrir, s’habiller, se loger… En conséquence les ménages pauvres ne peuvent inscrire leur enfant qu’en dernière année de maternelle, pour que l’accès au primaire ne leur soit pas refusé. Seul moyen pour y parvenir : le ménage s’endette et demande une réduction des frais.
Au primaire, le coût par enfant est de 20 euros par an.
Au collège le coût reste du même ordre, cependant beaucoup d’enfants sont contraints de prendre des cours supplémentaires qui coûtent 3 euros par mois et par matière. Ceci représente 15% du budget familial pour un seul enfant.
Au lycée, les coûts explosent : à cause de la distance de parfois plusieurs dizaines de km, il faut un moyen de transport ou louer une chambre. Les cours supplémentaires sont indispensables. Le coût est alors de plus de 50 euros par mois, ce qui explique que beaucoup d’enfants vietnamiens – près de 25 % – n’y ont pas accès. Ces 50 euros représentent 100% du budget familial, pour un seul enfant. De nouveau le ménage doit s’endetter.
La mobilisation d’une communauté
Mékong Plus offre des bourses scolaires de 20 euros à des lycéens choisis parmi les enfants les plus pauvres qui risquent d’arrêter l’école. Les résultats scolaires ne sont pas un critère important mais les parents doivent s’engager à laisser l’enfant poursuivre l’école. L’octroi des bourses est conditionné à une forte participation communautaire, via la course/marche de la solidarité : ainsi chaque année plus de 125.000 personnes participent et les dons des villageois se montent à environ 37.000 euros.
Avec le Covid et le confinement strict imposé depuis juillet 2021, tout a été bouleversé : les enfants sont contraints d’étudier en ligne; or 80% d’entre eux n’ont pas de smartphone. Mékong Plus propose des microcrédits de 100 euros pour l’achat d’un smartphone d’occasion, remboursés sur 10 mois (Il faut se souvenir que le crédit dans de nombreux pays est inaccessible aux pauvres sinon à des taux usuraires). L’ONG a étudié et sélectionné des logiciels pédagogiques adaptés au smartphone – notamment https://sieutrinhohocduong.com/NamPhutThuocBai – et des logiciels permettant aux parents de contrôler le temps passé en ligne et de limiter les sites accessibles, pour éviter les dérives d’utilisation. Elle espère ainsi que les cours supplémentaires, très coûteux, deviendront moins nécessaires.
Mékong Plus accompagne dans la réalisation de ce projet son partenaire local Anh Duong « Rayon de Soleil » qui exécute le projet sur le terrain pour les bénéficiaires directs, et gère également tous les aspects de mise en réseau et d’aide aux autorités, aux écoles et aux familles.
Grâce à ce projet, ce sont 150 enfants entre 6 et 18 ans issus des familles extrêmement pauvres qui reçoivent une bourse scolaire, des livres scolaires ou un microcrédit pour un smartphone reconditionné permettant le maintien de leur scolarité à l’école ou à la maison. Parmi ces bénéficiaires, au moins 50 % sont des filles.
SIPAR: un biblio-bateau sur le Tonlé Sap
Une population isolée et vulnérable, cumulant les difficultés
Sur le lac du Tonlé Sap, reconnu réserve de biosphère par l’Unesco, flottent de nombreux villages qui se déplacent en fonction du niveau d’eau et des saisons. Les familles vivant sur et autour du lac sont essentiellement des familles de pêcheurs et vivent presque uniquement de cette activité.
Les populations vivant sur le lac dans des maisons flottantes cumulent les difficultés. Etant fortement isolées (plus d’une heure de piste – parfois impraticable – puis au moins 2 heures de bateau), elles ont un accès très limité aux services éducatifs et de santé : les taux d’illettrisme et d’abandon scolaire sont très élevés (près du ¼ des enfants ne va pas à l’école car il n’y a pas de moyen de déplacement sur le lac, le taux d’abandon scolaire est particulièrement élevé à partir du niveau 3 – équivalent du CE2), les problèmes d’hygiène et de santé sont multiples. De plus, ces populations font face à des difficultés économiques dues à la pêche intensive et la pollution. Il devient difficile pour ces familles de dégager un revenu suffisant par la pêche pour subvenir à leurs besoins tout au long de l’année. La nécessité de se convertir à d’autres activités génératrices de revenu devient un enjeu crucial pour les années à venir et donc le besoin de s’informer et de développer de nouvelles compétences est primordial.
Sur le lac, l’année scolaire est différente des autres écoles publiques avec des vacances de février à avril car, en saison sèche, il est très difficile pour les élèves de se rendre à l’école : les maisons sont dispersées, éloignées de l’école et les enfants sont à ce moment-là réquisitionnés par leurs parents pour aider à la pêche et à la culture. De nombreux villages flottants ne disposent d’aucune école. Pour les villages qui en comportent une, la majorité des écoles sont très pauvres, le niveau éducatif est très faible, l’abandon scolaire après le niveau 3 fréquent et le taux d’illettrisme très élevé. La difficulté provient aussi du grand turn-over des professeurs, qui – venant d’autres zones de la province – ne sont pas habitués à la vie lacustre et quittent leur poste après une ou deux années d’enseignement.
Le gouvernement Cambodgien – soutenu entre autre par l’UE, la Banque Mondiale et la coopération Japonaise – a décidé de relocaliser tous les villages flottants sur les berges du fleuve, du lac et des affluents dans les prochaines années. Or les habitants des villages flottants n’ont jamais vécu sur terre, y sont très réticents et ne connaissent qu’un seul métier ; la pêche. Il est donc nécessaire d’apporter des solutions d’accompagnement pour aider les jeunes à se relocaliser dans les années à venir.
Le projet
Le projet s’inscrit dans les politiques d’éducation non formelle menées par le Ministère de l’Education, de la Jeunesse et des Sports Cambodgien, en contribuant à la lutte contre l’échec et l’abandon scolaire ainsi qu’à l’accompagnement des campagnes d’alphabétisation menées sur le territoire. L’éducation non formelle et l’éducation primaire sont indispensables et complémentaires.
La première phase de lancement du projet a eu lieu en 2020. Le biblio-bateau est maintenant opérationnel depuis presque deux ans dans la commune de Phlov Touk, d’abord sur le lac auprès des habitants des maisons flottantes des six villages, puis une fois les villages de la commune relocalisés (période non fixée), les interventions se poursuivront en s’adaptant à la nouvelle configuration des villages aux maisons fixes sur pilotis, le site restant inondé plus de 6 mois de l’année. En 2022, le biblio-bateau se dotera d’une biblio-moto. Le biblio-bateau sillonne des villages cibles pendant la période des crues et la biblio-moto les dessert pendant la saison sèche. Ce nouveau mécanisme permet d’atteindre tous les villages cibles.
Le biblio-bateau agira sur trois volets en proposant des services variés et adaptés aux besoins : le développement de la lecture, le soutien à l’éducation de base et la sensibilisation aux problématiques sociales rencontrées par ces populations :
- activités de lecture pour les enfants des villages
- activités d’éveil pour les enfants en maternelle
- prêt de livres aux enfants et adultes
- activités éducatives complémentaires aux programmes scolaires et aux classes d’alphabétisation
- animation de sessions autour de problématiques sociales auprès des communautés (nutrition, santé, hygiène, planning familial, gestion du budget familial…).